[Présidentielle 2022] Décryptage des propositions fiscales et sociales clés de Macron et Le Pen

[Présidentielle 2022] Décryptage des propositions fiscales et sociales clés de Macron et Le Pen

21.04.2022

Gestion d'entreprise

Impôts de production, fiscalité des successions et des donations, retraite, prélèvements obligatoires sur les revenus du travail... Voici l'analyse de 4 thèmes forts des campagnes des deux candidats qui s'affrontent ce dimanche au second tour de l'élection présidentielle.

Baisse des impôts de production

Les deux finalistes à l'élection présidentielle promettent de baisser les impôts de production. Mais ils n’utilisent pas les mêmes leviers.

Emmanuel Macron (La République En Marche) Marine Le Pen (Rassemblement National)

♦ Suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) pour toutes les entreprises

(source : Icône PDFprogramme)

♦ Suppression de la CFE (cotisation foncière des entreprises) pour toutes les entreprises

♦ Suppression de la C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés) dans les zones de relocalisation

(source : Icône PDFprogramme)

 

La suppression des impôts de production est préconisée par plusieurs spécialistes. Selon le Conseil d’analyse économique (CAE) par exemple, la CVAE devrait être supprimée pour, notamment, éliminer les distorsions induites par cette "taxe dépendante du chiffre d’affaires". Cet impôt conduit "à distordre la rentabilité des investissements en fonction des secteurs en concentrant son impact sur les secteurs les plus intensifs en capital. In fine, la CVAE comporte le risque de déformer les choix d’allocation productive des entreprises au détriment du capital avec un effet négatif sur la productivité", analyse une Icône PDFnote de 2019. La suppression de la CVAE représenterait un coût pour les finances publiques de 7 milliards par an selon le candidat Macron, et de 7,44 milliards d'euros par an selon l'Institut Montaigne.

Le CAE recommande également (et en priorité) de supprimer la C3S qu’il considère comme "la taxe la plus néfaste aux entreprises". Cette contribution, basée sur le chiffre d’affaires, produit selon l’organisme "des «effets de cascade» qui se transmettent et s’amplifient sur toute la chaîne de production parce qu’à chaque étape de production la taxe elle-même est taxée". La C3S réduit in fine la productivité et la compétitivité des entreprises "jouant comme une taxe sur les exportations et une subvention aux importations". En revanche, la CFE ne semble pas causer de distorsions majeures, selon le Conseil d'analyse économique.

 

Réforme de la fiscalité de la transmission du patrimoine
Emmanuel Macron (La République En Marche) Marine Le Pen (Rassemblement National)

♦ Relèvement des abattements sur les droits de succession payés par les héritiers : jusqu’à 150 000 euros transmis à un enfant et jusqu’à 100 000 euros transmis à un autre membre de la famille (petits-enfants, neveux, nièces…).

Ainsi, l'héritier serait exonéré de droits de succession jusqu'à 150 000 euros ou 100 000 euros transmis (selon les cas) tous les 15 ans.

(source : programme)

♦ Relèvement des abattements sur les droits de donation pour les transmissions des parents et grands-parents à leurs enfants et petits-enfants : jusqu’à 100 000 euros par enfant

♦ Raccourcissement du délai de rappel fiscal à 10 ans

♦ Exonération des droits de succession des biens immobiliers transmis jusqu'à 300 000 euros

♦ Suppression des impôts de succession lors de la transmission des TPE-PME à la génération suivante. "Dans le cadre d’un Pacte Dutreil dont les conditions seront mises à jour, les héritiers ne paieront plus d’impôts s’ils s’engagent à garder pendant au moins dix ans l’entreprise"

(source : programme)

 

Pour rappel, les bénéficiaires d'une succession ou d'une donation peuvent bénéficier d’un abattement personnel qui est déduit de la base taxable.

Actuellement, le montant de cet abattement pour les successions est de :

  • 100 000 euros pour un enfant ou un ascendant (parent, grand-parent) ;
  • 15 932 euros pour un frère ou une sœur (sauf cas d'exonération) ;
  • 7 967 euros pour un neveu ou une nièce ;
  • 1 594 euros pour un petit-enfant ou un arrière-petit-enfant.

Pour les donations, le montant de l'abattement est de :

  • 100 000 euros pour un enfant ;
  • 31 865 euros pour un petit-enfant ;
  • 15 932 euros pour un frère ou une soeur ;
  • 7 967 euros pour un neveu ou une nièce ;
  • 5 310 euros pour un arrière-petit-enfant.

Cette franchise de droits est reconstituée tous les 15 ans. 

 

Selon Alternatives économiques, Marine Le Pen - qui se présente comme la candidate des classes populaires - propose une réforme qui "avantagera d’abord les riches". Pour mémoire, l’héritage médian est de 70 000 euros, selon le Conseil d'analyse économique.

Même son de cloche du côté de Terra Nova qui estime que l'abattement de 100 000 euros tous les 10 ans intéressera les détenteurs de patrimoines élevés (le patrimoine net médian des Français est de 117 000 euros). "Une famille ayant deux enfants et disposant d’un patrimoine de 1 million d’euros pourra en vingt ans céder à ses enfants 400 000 euros (200 000 euros chacun) sans payer un centime d’impôt. Et les mêmes enfants pourront dans le même temps et dans les mêmes conditions d’exonération fiscale percevoir la même somme de leurs grands-parents. Du seul fait d’être issu d’une famille fortunée, chacun de ces deux enfants pourra avoir accumulé un patrimoine de 400 000 euros à l’âge de 40 ans sans avoir levé le petit doigt", décrypte le think tank de gauche dans une Icône PDFnote d'avril 2022.

Dans une Icône PDFnote​ de 2021, le CAE relevait que le système actuel profite davantage aux riches héritiers qui "touchent de multiples transmissions patrimoniales au cours de leur vie (...) dont la valeur est fortement corrélée". Comme chaque transmission est taxée séparément, "ceci offre la possibilité de bénéficier plusieurs fois de certains abattements et d’optimiser le « timing » du flux de transmissions", analyse le CAE. "Pour limiter les conséquences régressives de tels comportements, les dernières réformes ont cherché à réduire les abattements, les délais de rappel, et à afficher des taux extrêmement progressifs. Avec pour conséquences de pénaliser ceux qui touchent un plus petit nombre de transmissions, ou des successions plus faibles et de valeurs inégales et créer par effet d’optique l’illusion d’une très forte progressivité effective du système. Tout ceci mine l’acceptabilité sociale des droits de succession".

 

Retraite : départ et pension minimum
Emmanuel Macron (La République En Marche) Marine Le Pen (Rassemblement National)

♦ Relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans (au lieu de 62 ans). Le président sortant envisage de repousser de 4 mois par an l'âge légal de départ pour porter cet âge à 64 ans en 2028 et en 2031 à 65 ans.

♦ Clause de revoyure en 2027-2028

♦ Refus de tout allongement de l’âge de départ à la retraite.

Mais possibilité pour les personnes qui ont commencé à travailler avant 20 ans pendant 40 annuités de prendre leur retraite à 60 ans.

♦ Augmentation de la pension retraite minimale à taux plein ("minimum contributif") à 1100 euros par mois pour les personnes ayant une carrière complète (au lieu de 713 euros actuellement)

♦ Augmentation des "petites retraites" à 1000 euros par mois

♦ Revalorisation du "minimum vieillesse" (allocation de solidarité aux personnes âgées) à 1000 euros par mois (au lieu de 916 euros actuellement)

♦ Indexation des pensions de retraite sur l’inflation à partir de juillet 2022

(sources : programme, déclarations d'Emmanuel Macron du 13 avril et de Bruno Le Maire du 19 avril)

♦ Réindexation des retraites sur l’inflation

(sources : 22 mesures et programme)

 

Le report de l'âge légal de départ à la retraite est régulièrement critiqué par les économistes. En cause, une inégalité entre salariés. "Un recul à 65 ans de l’âge de départ à la retraite serait très injuste pour de nombreuses catégories de salariés", soulignent Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa et Christiane Marty dans une tribune au Monde. Ce report "ne pèserait guère sur la carrière des cadres, car ayant rarement commencé à travailler avant 22 ans (...). Mais pour une personne entrée en emploi à 18 ou 19 ans, ce recul signifie concrètement devoir attendre trois ans de plus en emploi… ou, comme souvent, au chômage ou en inactivité". 

La réindexation des pensions de retraite sur l'inflation est déjà prévue par la loi mais en pratique, ce dispositif a été régulièrement contourné. "L'indexation sur l'inflation n'est donc pas une nouvelle mesure, c'est simplement revenir à la solution par défaut", relève l'économiste Brice Fabre sur France Info. "Par ailleurs, corréler le montant des pensions à la courbe des prix ne permet pas en soi d'augmenter le pouvoir d'achat des retraités, mais uniquement de le maintenir", ajoute le site.

 

Ajustements concernant les prélèvements obligatoires sur les revenus du travail et la retraite

Emmanuel Macron veut tripler la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (dite "prime Macron") sans charges (pour l'employeur) ni impôts (pour le salarié). Elle pourrait donc atteindre :

  • 3 000 euros (au lieu de 1 000 euros) dans les entreprises n'ayant pas signé d'accord d'intéressement ;
  • 6 000 euros (au lieu de 2 000 euros) dans les entreprises qui ont signé un accord d'intéressement ou dans les entreprises de moins de 50 salariés ou pour les travailleurs de la deuxième ligne (en contact avec le public durant la crise sanitaire) si des mesures de revalorisation de leurs métiers sont engagées.

Pour rappel, ce dispositif de partage des profits permet aux employeurs de verser aux salariés gagnant moins de trois fois le Smic une prime exonérée d’impôts et de cotisations sociales.

Le triplement de la prime pourrait engendrer des effets d'aubaine, selon France Info. Cette prime étant exonérée de charges sociales et fiscales. Les entreprises y ont recouru massivement en 2019 lors de sa mise en place. "Le renforcement de cette prime pourrait également réduire la stabilité de la rémunérations des salariés", avertit l'économiste Brice Fabre. "Si vous recevez moins de salaire brut et plus de prime, votre rémunération devient potentiellement moins stable et moins protectrice".

Par ailleurs, l'Institut Montaigne estime que "l'effet net sur la consommation pourrait être faible à court terme" car les ménages ont accumulé une épargne financière importante durant la crise sanitaire. "Le manque à gagner pour les finances publiques pose donc la question de son financement, notamment s'agissant des prélèvements sociaux dont cette prime est exempte", analyse le think tank. Qui chiffre le coût de cette mesure à 6 milliards d'euros par an pour les finances publiques. 

 

De son côté, Marine Le Pen souhaite exonérer de cotisations sociales les entreprises qui augmenteraient tous leurs salaires de 10 %. "Dans le cadre d’un contrat d’entreprise, elles seront exonérées de la hausse des cotisations patronales en cas d’augmentation de 10 % de tous les salaires jusqu’à 3 Smic", précise le manifeste de la candidate RN. Il s'agirait d'un dispositif incitatif et non d'une obligation.

Selon plusieurs spécialistes, cette mesure de Marine Le Pen - qui se présente comme la "candidate du peuple" - rate sa cible et va profiter au plus aisés. "Une augmentation de 10% du Smic net, c'est environ 120 euros de plus par mois. Pour un salarié gagnant l'équivalent de 2 Smic, c'est 240 euros de plus. Toutefois, à partir de 1,5 Smic, on ne touche plus seulement les classes populaires", souligne une Icône PDFnote de Terra Nova d'avril 2022.

De plus, cette proposition présente "un bénéfice très hypothétique pour les plus modestes". Ces hausses étant conditionnées à des contrats d'entreprises, seules les entreprises qui envisageaient déjà de telles hausses de salaires auraient recours à ce dispositif, estime le think tank. En conséquence, ce dispositif "risque fort de se résumer à un effet d'aubaine, c'est-à-dire une aide aux entreprises pour régler leur problème de recrutement". 

Autre difficulté soulevée : dans les entreprises où il pourra être mis en place, ce dispositif impliquerait "une véritable usine à gaz", selon Terra Nova. "Car, pour un même salaire, l’employeur n’acquittera pas les mêmes cotisations selon qu’il résulte ou non d’une augmentation sous ce régime".

Pour Alternatives économiques, cette mesure représente également des "pertes importantes de recettes fiscales". La candidate RN ne chiffre pas cette proposition mais l'Institut Montaigne estime qu'il en coûterait 10,5 milliards d'euros par an pour les finances publiques.   

 

Céline Chapuis

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